LE MARCHAND DE VENISE - Extraits

ACTE I Scène 2
[...] PORTIA Redis-mois les noms, je te prie, de tous ces soupirants qui sont déjà venus. Je veux, pour chacun d’eux, te dire mon sentiment.
NERISSA Il y a d’abord le Prince Napolitain.
PORTIA Ah oui ! C’est ce poulain de Naples qui ne fait que parler de son cheval !
LE PRINCE NAPOLITAIN (entre en chevauchant.) Hiiiieeee ! Oh, là ! Tout doux ! Madame, je puis, sans me vanter, vous assurer qu’il n’y a pas, sur tout le continent, meilleur cavalier. J’aime tant ma monture que maintes fois je passe ma nuit à l’écurie auprès d’elle. Je suis fort prompt à bouter la chabraque et la selle et prends pour un grand complément de mes mérites de ferrer mon cheval moi-même. (Il sort.)
PORTIA Cet étalon n’est point de mon goût. J’ai grand peur que Madame sa mère n’ait fauté avec quelque forgeron. [...]

ACTE I Scène 3
VENITIENS
- Voici Shylock !
- Shylock le Juif !
- Tant haï des Chrétiens !
- Shylock le Juif, qui le leur rend bien !
- Honni, conspué, traité pire qu’un chien !
SHYLOCK I am a Jew. Hath not a Jew eyes ?
UN VENITIEN Un Juif a-t-il pas des yeux ?
SHYLOCK Hath not a Jew hands ?
UN VENITIEN Un Juif a-t-il pas des mains ?
SHYLOCK …organs, dimensions, senses, affections, passions ?
VENITIENS
- Est-il pas nourri de la même nourriture ?
- Blessé des mêmes armes ?
- Réchauffé par le même soleil, tout comme un Chrétien ?
SHYLOCK Condamné à m’enrichir en pratiquant l’usure ! Les Chrétiens tout m’interdisent et ne me laissent pas le choix. Antonio, le riche marchand, me fait déloyale concurrence en prêtant son argent gratis. Il m’étrangle et veut me priver de mes moyens d’existence. Et voilà qu’aujourd’hui, Antonio lui-même, Antonio mon pire ennemi, vient me quémander de l’argent. (à Bassanio) A combien s’élève la somme ?
BASSANIO Trois mille ducats.
SHYLOCK Trois mille ducats. Bon ! [...]

ACTE II Scène 2
LANCELOT Je balance, j’hésite, je tergiverse, j’incertitude, j’indécise… To be… or not to be… rester… ou ne pas rester au service de mon maître, le Juif Shylock. Le démon me pousse du coude et me dit : « Lancelot, mon bon Lancelot, sers-toi de tes jambes, prends ton élan, fuis, décampe ! » Mais ma conscience lui répond : « Honnête Lancelot, loyal Lancelot, généreux Lancelot, fidèle Lancelot, reste ! » [...]
GOBBO Monsieur le jeune homme, je vous prie de me dire par où l’on va chez M. le Juif Shylock.
LANCELOT (au public) Ciel, mon père légitime ! Il est complètement aveugle, bigleux, pire qu’une taupe et ne me reconnait pas. Essayons de l’embrouiller ! (lui criant dans l’oreille) Au prochain tournant à droite, en haut tout droit puis à la gauche de la droite en bas. Retournez-vous, vous êtes arrivé.
GOBBO Palsambleu, ce sera un chemin dur à trouver. Pouvez-vous me dire si un certain Lancelot qui habite chez lui, habite chez lui ou non ?
LANCELOT Vous voulez parler de Maître Lancelot ?
GOBBO Non, Lancelot tout court, fils d’un pauvre homme, moi, son père.
LANCELOT Hélas ! Lancelot tout court est, comme qui dirait, mouru, défunté, décédé.
GOBBO Bonté de Dieu ! Ce garçon était mon seul bâton de vieillesse, mon soutien.
LANCELOT Est-ce que j’ai l’air d’un bâton, d’un gourdin, d’un poteau ? Me reconnaissez-vous, petit père ? C’est moi Lancelot, votre fils.
[...]
BASSANIO Que me veux-tu, manant ? [...]
GOBBO Voici mon fils, Monsieur, un pauvre garçon.
LANCELOT (s’avançant) Non point « pauvre garçon », Monsieur, mais le valet du riche Shylock, qui voudrait, comme mon père vous le spécifiera… (Il se retire.)
GOBBO Je puis en effet vous le spécialiser, Monsieur : mon fils a une grande… infection, comme qui dirait, une certaine… congestion et même une… déflagration… à servir…
LANCELOT Par le court, le large et le long de la chose, Monsieur, je suis las de servir le sieur Shylock. (Il pousse Gobbo en avant.)
GOBBO Sauf votre respect, son maître et lui ne cousinent guère…
LANCELOT La vérité, c’est que Shylock me maltraite et je voudrais, comme mon père vous le fructifiera… (Il le pousse en avant.)
GOBBO Vous demander…
LANCELOT D’avoir l’obligeance…
GOBBO Dans votre grande fulgurance …
LANCELOT Et avec votre concordance…
BASSANIO Suffit ! Qu’un seul des deux parle ! Que voulez-vous ?
LANCELOT Vous servir, Monsieur [...]

ACTE IV Scène 2
Lors du procès, Portia, déguisée en juge, a réussi à sauver Antonio des griffes de Shylock. Elle s’amuse ensuite à tirer à Bassanio, son époux qui ne l’a pas reconnue, sa bague de mariage.
ANTONIO
Très digne gentilhomme, acceptez, s’il vous plaît...
BASSANIO
Pour vous remercier d’un travail si bien fait...
ANTONIO
Ces trois mille ducats que Shylock dédaignait.
PORTIA
C’est bien assez payé que d’être satisfait.
BASSANIO
Vous ne pourrez alors pas refuser, Messire
Que nous vous remettions, de nous, un souvenir.
PORTIA
Puisque vous insistez, je prendrai volontiers
Cette bague qu’au doigt, joliment vous portez.
BASSANIO
Cette bague, Monsieur, n’est rien que bagatelle.
Vous méritez bien mieux ; il en est de plus belles.
Je vous en veux offrir une de plus grand prix.
PORTIA
Mais celle-là est vôtre ; elle me fait envie.
BASSANIO
Je ne la puis céder ; j’y suis trop attaché.
PORTIA
Généreux en paroles ! Ah mais, quant à donner !
BASSANIO
Généreux je le suis, n’allez pas en douter.
Mais vraiment je ne puis, céans, vous contenter.
De ne la point quitter, j’ai juré sur mon âme.
Cette bague, Monsieur, est un don de ma femme. [...]
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